Poudre Levante VS. Levure Boulangère


Extrait de Ni Cru Ni Cuit, écrit par Marie-Claire FREDERIC

Copie Verbatim p. 287-288, Ni Cru Ni Cuit

 

       La première dissimulation en la matière se tient, peut-être, dans l'appellation française : "levure chimique" pour désigner la poudre qui fait lever les gâteaux. Les anglais l'appellent plus justement baking powder et les allemands bakcpulver. Cette poudre fut mise au point à la fin du XIXèmé siècle par Justus Von Liebig et son élève américain Benjamin Rumford, afin de remplacer la levure de panification, au nom du progrès, du temps gagné. "Levure chimique", voilà un bel oxymore de marketing ! Une levure est un être vivant, elle est biologique et ne peut pas être créée par la chimie. Cette levure chimique a remplacé la levure biologique dans certaines pâtes levées à base de céréales. Elle résulte d'un mélange de bicarbonate de sodium, basique, et d'un acide, qui provoque un dégagement gazeux sous l'effet conjugué de l'humidité et de la chaleur, par réaction chimique. La levure naturelle produit, elle aussi, un dégagement gazeux qui fait lever la pâte, mais c'est selon un processus biologique qui engendre en même temps d'autres substances à l'origine des arômes et de l'évolution de la composition nutritive de l'aliment. La levure chimique permet d'un coup de réaliser en vingt minutes un soda bread en lieu et place d'un pain qui demande généralement quatre heures avec la levure biologique, et parfois 12 heures avec du levain naturel. Un pain visuellement proche mais très éloigné du point de vue de la saveur.

 

      La poudre à lever fut l'un des premiers résultats significatifs vers l'industrialisation de la nourriture, la production de masse, la rapidité, la standardisation, et l'abandon des saveurs complexes propres aux produits fermentés. L'appellation usurpée de la "levure" a été donnée en français par homologie à cette poudre pour des raisons commerciales, pour contrebalancer le mot chimique qui risquait de provoquer la méfiance quand elle fit son apparition en ce début du XXème siècle : il ne fallait pas heurter la ménagère dont on bousculait les habitudes. Dans "levure chimique" on retient seulement "levure", un mot dont on comprend le sens. Ou plutôt l'usage. Les préparations dans lesquelles on l'emploi, majoritairement fermentées autrefois, sont nombreuses. Il ne s'agit pas seulement de quatre-quarts ou de clafoutis français, mais aussi des crêpes "mille-trous" marocaines, des idlis et des dosas indiens, des pancakes anglo-saxons : l'oubli est mondial. Une pincée de bicarbonate jetée dans la pâte a remplacé le long temps de fermentation, changé la saveur des mets... et les habitudes des cuisiniers. Comment faisait-on les gâteaux avant l'invention de la levure chimique ? Pour les biscuits délicats, on utilisait des blancs d'oeufs montés. Dans tous les autres cas, on laissait fermenter. On attendait donc. C'est la raison pour laquelle on lit encore parfois les recettes : laissez reposer, laissez maturer, alors qu'avec l'usage de la poudre à lever, cette pratique est devenue superflue. On peut être sur, dans ce cas, qu'une ancienne fermentation se cache derrière la préparation.

Ni cru, ni cuit, Histoire et civilisation de l'aliment fermenté écrit par Marie-Claire Frédéric

Paru le 24 avril 2014, publié aux éditions Alma Editeur

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